Résistance aux antibiotiques : la piste des alligators

En matière de défense contre les agressions, l’alligator a des choses à nous apprendre. On connaissait l’épaisseur de son cuir ou la puissance de ses mâchoires. L’essentiel est pourtant ailleurs, caché dans un système immunitaire extraordinaire. Jugez plutôt : voilà un animal qui se vautre dans les pires cloaques, s’inflige des blessures effrayantes, mais reste imperméable aux bactéries qui pullulent dans ces milieux. Quel est donc son secret ? A l’heure où les résistances aux antibiotiques se multiplient et où la recherche peine à trouver de nouveaux remèdes, pourrions-nous nous inspirer de cet animal ?

En 2008, des scientifiques américains ont apporté une première réponse. Ils ont découvert que du sérum sanguin tiré du reptile pouvait détruire 23 souches bactériennes. L’arme de destruction massive dissimulée dans le sang de la bête semblait être une enzyme. Prometteuse, la piste n’a pas permis d’aboutir à l’élaboration de médicaments.

Mais l’enzyme n’agissait pas seule. Et c’est une autre voie que l’équipe de l’université George Mason de Fairfax, en Virginie, a explorée et dont elle publie les résultats dans la revue Plos One : celle des peptides antimicrobiens. Ces protéines d’un genre particulier pullulent dans nos organismes. On les trouve dans les poumons, sur la peau, dans le sang. Composées de seulement 20 à 50 acides aminés, donc de taille très réduite, elles jouent un rôle essentiel dans le système immunitaire inné, notre première ligne de défense. Depuis trente ans, elles ont fait l’objet de nombreuses recherches. Chez l’homme, pour mieux en connaître le fonctionnement ; chez les animaux, pour y détecter des pistes. Ainsi le crapaud, autre beauté des eaux saumâtres, s’est révélé riche en peptides antibactériens. Mais là non plus, aucune application humaine n’a pu aboutir.

Méthode astucieuse

« Nous avons choisi de nous intéresser à l’alligator en raison de son mode de vie, son ancienneté – 37 millions d’années, de quoi établir des défenses solides – mais aussi parce que de vieilles légendes américaines prétendaient que son sang éloignait les microbes », sourit la biochimiste Monique van Hoek. A cible nouvelle, méthode nouvelle : pour trouver les peptides tueurs, l’équipe de Fairfax est d’abord partie à la pêche avec, en guise d’épuisette, un gel riche en nanoparticules. Mélangé à une goutte de sang, il produit une sorte de soupe, qui, passée en centrifugeuse, séchée, puis analysée par spectrométrie, laisse apparaître les éléments recherchés – de petite taille et chargés positivement. Sauf qu’à ce moment-là, pas moins de 568 séquences d’acides aminés se dégagent.

Après la biochimie vient donc l’informatique. Lesdites séquences ont été comparées aux milliers de peptides déjà existants dans les bases de données, pour écarter celles déjà connues ou au contraire trop éloignées de composés actifs. « Nous en avons retenu 45, parmi lesquels nous en avons synthétisé huit », précise Barney Bishop, premier signataire de l’étude. Synthétisé et non isolé : « Isoler des peptides impose d’utiliser beaucoup de sang. Si l’on veut pouvoir travailler sur de petits animaux ou sur des espèces menacées, il faut trouver autre chose. Nous utilisons le sang pour faire l’analyse, pas la production. Si bien qu’une goutte de 100 microlitres nous suffit », poursuit-il.

Les huit élus ont ensuite été soumis à quatre bactéries : E. coli, la bactérie modèle des biologistes, mais aussi trois autres, dont le célèbre staphylocoque doré, présent dans les septicémies, les infections cutanées ou alimentaires, les maladies respiratoires… Cinq peptides se sont révélés actifs, dont trois efficaces sur l’ensemble des agents pathogènes. « La méthode est particulièrement astucieuse et le résultat prometteur », juge le professeur Patrick Berche, microbiologiste et directeur de l’Institut Pasteur à Lille.

L’équipe américaine n’entend pas s’arrêter là. D’abord, elle va synthétiser d’autres peptides parmi les 45 sélectionnés chez l’alligator. Ensuite, elle va appliquer la même méthode aux cousins du reptile : le crocodile du Nil et le gavial du Gange. Enfin, et surtout, elle va regarder les effets de ces peptides chez d’autres mammifères.

Avec en ligne de mire, l’homme. « Nous sommes soutenus par le département de la défense, indique Monique van Hoek, ce n’est pas tout à fait par hasard. » Prévenir les infections chez les blessés ou soigner les grands brûlés ? « C’est notre espoir, mais la route est encore longue. »

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